par Chân Cơ Ce matin il fait beau soleil dehors. À travers de la fenêtre de notre cuisine, je peux voir deux petits écureuils en train de jouer à cache-cache sur un arbre, dans notre cour arrière. Cette journée printanière semble tellement normale, sauf pour mon confinement de 14 jours, suite au Covid-19. Et je me suis dit: ce confinement, vivons- le en un Temps du Noble Silence. Ces jours-ci, dans les reportages télévisés, les rues de notre ville sont vides de gens ou même de voitures, comme les rues dans la plupart des grandes villes du monde d’ailleurs. Que ce soit Montréal, New York, Paris, Londres, New Delhi ou Tokyo on nous parle d’une période sans précédente, d’un état d’urgence extraordinaire dans le monde causé par ce Coronavirus. Prendre une petite marche à l’extérieur, une activité quotidienne pourtant si simple, se revêt d’un sentiment bizarre. Les rues ne sont pas seulement vides, elles sont silencieuses. Un silence plutôt anormale, rempli de doute, de suspens, d’inquiétudes, d’incertitudes et de peurs. De jour en jour, les mesures spéciales pour contrer la propagation de ce virus se multiplient et deviennent de plus en plus strictes. On est mieux de rester en dedans... Cependant, je décèle en moi une impression de déjà-vu. Dans ma jeunesse, pendant la guerre du Vietnam, j’avais passé à travers des périodes similaires quand toutes les activités d’une ville devaient s’arrêter pendant la période du couvre-feu. Quand on entendait le son de la sirène qui retentit du haut d’un tour du centre-ville, on savait que c’était le temps de rentrer chez-soi, de rester à l’intérieur et ne sortir seulement si on était militaire ou secouriste. On ne risquait pas d’amendes monétaires mais on pouvait se faire arrêter ou même tuer parmi les échanges soudain de coups de fusils, d’explosions de grenades ou de canons. C’est vrai, aujourd’hui nous sommes dans une situation nouvelle et spéciale. Cette crise a une tout-autre dimension, une dimension planétaire sur la sécurité sanitaire avec risques de contagion. Avec l’internet et les nouvelles technologies en communication, nous sommes au courant à l’instant même de ce qui se passe en Chine, en Italie, en Espagne ou aux États-Unis. Nous apprenons ce matin, par exemple, qu’il y a déjà plus de 30, 000 décès et à peu près 700, 000 personnes affectées du Covid-19. Cependant, les effets psychologiques de ces situations d’incertitude crées à l’intérieur de chacune et chacun de nous sont similaires que les effets subis dans une situation de guerre. Nous ne sommes pas encore affectés par la maladie, mais nous nous inquiétons. Nous nous inquiétons pour nous-mêmes, pour notre famille et pour les autres. Nous sommes agités en apprenant les statistiques d’hier; nous sommes anxieux en écoutant les nouvelles d’aujourd’hui et nous doutons sur ce que l’avenir nous réserve, pendant et après la crise. Alors, comment une pratique du Noble Silence peut nous aider? Le Noble Silence est une pratique que nous observons à la fin de chaque jour pendant nos retraites de méditation au Village des Érables. À partir de 10h du soir, après notre méditation assise du soir, le silence est de mise jusqu’au lendemain matin. Chaque personne se prépare alors pour bien se donner une bonne nuit de repos. La consigne de pratique c’est d’observer le silence dans les occupations personnelles, tout en respectant le silence d’autrui. Cette période de silence, qui commençait par une atmosphère contraignante ou même répressive, se transformait lentement une période de calme, de relaxation et de paix pour tout le monde. C’est juste à ce moment là que le silence observé devenait le Noble Silence, un silence vécu avec aisance dans l’attention posée sur soi et dans le respect des autres. Le silence d’activités de toute une société que nous vivons en ce moment peut devenir très noble, d’abord pour nous-mêmes mais en même temps pour tous les autres. Voici ce qui nous est recommandé de pratiquer: 1- Reconnaître et observer simplement ce qui se passe en nous: l’inquiétude, l’anxiété, le doute, la peur,...et surtout ne pas se contrôler mais laisser ces formations mentales se manifester si elles se présentent. 2- Suivre notre respiration consciemment pendant une dizaine de fois et observer qu’elle devienne plus lente puis plus calme. 3- Faire un relevé de nos acquis et les acquis de nos proches: en vie, la vue, l’ouïe, la motricité, la santé, etc... et reconnaître que nous sommes encore chanceux. 3- Accueillir alors cet espace de silence dans la joie, la sérénité de notre esprit et avec la paix dans notre cœur. 4- Transformons notre temps d’arrêt, notre temps de silence en un Temps du Noble Silence en pensant, en souhaitant et en offrant le fruit de notre pratique aux autres, surtout aux moins fortunés. Et enfin nous pouvons compléter cette pratique par cette contemplation pour que ses bénéfices puissent persévérer: Un autre jour se passe, notre vie s’enfuit Regardons profondément Qu’avons-nous fait de tout ce temps passé Avec diligence, pratiquons de tout notre être Vivons pleinement chaque instant Libérons-nous ainsi de toute souffrance Conscients de l’Impermanence Ne laissons pas s’écouler notre vie dans la futilité. Rendons hommage, aux parents enseignants , amis Rendons hommage aux travailleurs de la santé et sociaux Et à tous les êtres innombrables. 30 Mars, 2020 - Chân-Cơ
0 Commentaires
par Chân Cơ
(Article publié dans Nouveau Dialogue, Numéro Hors-Série, Automne 1997 - Nouveau Dialogue est une revue d'allégeance chrétienne, revue d'information et de recherche qui veut collaborer au dialogue entre les croyances, celles de l'humanisme et celles des grandes religions.) Aux informations, aujourd'hui, un père Ontarien tue sa femme et ses deux jeunes enfants puis s'enlève la vie - tout cela à cause d'un divorce. Une telle nouvelle devient de plus en plus fréquente; mais à chaque fois elle me serre le cœur. Pour quelles raisons, à cause de quelles circonstances cette famille a-t-elle subi cette tragédie? Qui donc parmi nous pourrait penser que nous sommes capables d'une telle action? Pourtant, au bout du désespoir, des gens tout à fait normaux (comme nous) peuvent considérer la mort comme une fin, comme la seule solution à leurs problèmes. La mort dans le bouddhisme n'est jamais considérée comme une fin. Les actions durant une vie continuent à causer du bonheur ou du malheur après la mort. C'est la notion même du Karma, mot qui peut être traduit tout simplement par "Actions". L'état des choses dans le présent est le résultat des actions effectuées dans le passé; et les actions dans le présent auront une influence sur le futur. En fait, sans être nécessairement bouddhiste, au fond de nous-mêmes nous savons que nos problèmes ne s'évaporeront pas tout simplement avec la mort; mais cette douleur insupportable que nous ne voulons plus endurer nous amène à cette fausse impression ou espérance: les choses vont se régler par elles-mêmes d'une façon ou d'une autre, et après la mort nous ne serons plus empêtrés par nos problèmes. Nous ne nous donnons jamais le temps de regarder profondément ce qu'est la mort et la vie. La mort surtout est un sujet que la plupart d'entre nous n'aime pas aborder. Plus on est jeune plus notre mort semble lointaine. Penser à la mort? C'est un souci réservé pour nos aînés âgés et malades. Il nous semble que nous avons toujours tant des choses plus importantes à réaliser; et nous préférons remettre cette question à demain, pensant avoir beaucoup de temps devant nous. Pourtant chaque fois que nous visitons un cimetière, nous pouvons y retrouver les pierres tombales des gens de tout âge. Mais bien sûr, la mort n'arrive qu'aux autres; seule l'arrivée d'un événement tragique nous fait sentir que la mort n'est pas si loin de la vie. Il y a deux semaines, un des mes jeunes cousins avait eu un accident de voiture; l'accident en soi était une malchance, mais c'était une chance qu'il s'en est tiré vivant. Mon cousin a frôlé la mort par son accident de voiture; une mort que mon cousin a peut-être tendance à oublier dans un pays en paix. Dans ma pratique bouddhiste, je récite souvent les Cinq Remémorations de la vie, une pratique des moines depuis plus de deux mille ans: 1. Vieillir fait partie de ma nature. Je ne peux échapper à la vieillesse. 2. Tomber malade fait partie de ma nature. Je ne peux échapper à la maladie. 3. Mourir fait partie de ma nature. Je ne peux échapper à la mort. 4. Tout ce qui m'est cher aujourd'hui et tous ceux que j'aime ont pour nature l'impermanence. Je ne peux échapper au fait qu'un jour, j'en serai séparé. 5. Je suis le propriétaire et l'héritier de mes actions; elles sont mes compagnes les plus proches. À la fin de la vie, mes actions seront les seuls bagages que je pourrai emporter. Ces Cinq Remémorations me font réaliser le caractère passager de ma propre vie et de celle de mes êtres chers. Elles rappellent combien le temps d'une vie en santé est court et précieux. J'en ai déjà gaspillé une grande partie pour poursuivre des futilités (comme la fortune, la gloire, la passion, l'avidité ou la colère - pour en nommer quelques-unes) et consacré si peu pour bâtir mon propre bonheur et celui de ceux qui m'entourent. Les Cinq Remémorations m'amènent aussi souvent aux questions suivantes: si je devais mourir demain, pourrais-je mourir en paix? Que puis-je faire aujourd'hui? Tout d'un coup beaucoup de projets, qui m'ont semblé si importants jusqu'à présent, deviennent vraiment des superflus. Ainsi la pratique du rappel d'une mort imminente n'est pas du tout pessimiste; elle me ramène plutôt à une vie de qualité, pleine d'actions pour la rendre heureuse et en paix. Comme bouddhiste, je ne peux non plus m'empêcher de penser à une mort (ou une vie) si belle et glorifiante qu'était la mort (ou la vie) de Jésus; cette pensée est peut-être surprenante pour quelques-uns de mes amis chrétiens. Par sa vie, Jésus m'a enseigné l'amour universel; par sa mort, il m'a montré ce qu'est le pardon et la compassion. Tout comme celles de Bouddha, les actions de Jésus dans sa vie et sa mort continuent d'éclairer mon chemin du bonheur et celui des millions de gens. Finalement, ce serait plutôt comment nous vivons notre vie et comment nous mourrons notre mort qui fait la différence; la différence n'est nullement entre la vie et la mort. Être en vie ne nous assure pas le bonheur; être mort ne nous empêche pas de recevoir ou donner joie et paix. Chez nous, dans la salle de séjour, se trouve une commode servant comme autel de Bouddha et des ancêtres. Nous y avons mis les photos de nos parents et grand-parents décédés. Nos deux jeunes garçons savent bien où aller pour saluer leur grand-parents décédés. Mon épouse et moi savons aussi où aller pour demander du soutien spirituel et moral, exprimer nos gratitudes, ou partager nos joies et peines de la vie. La semaine dernière, nous avons célébré le premier anniversaire de notre cadet. La grande famille était invitée pour l'occasion, mais nous avons aussi partagé cette joie avec les ancêtres en leur faisant des offrandes comme fruits et fleurs sur l'autel. Ainsi nos ancêtres n'ont pas seulement une place dans notre coeur, ils ont aussi une place dans notre domicile. Ils partagent vraiment notre vie en continuant à nous donner du support; et nous autres les descendants, nous pouvons toujours leur procurer joie et bonheur. Quand j'étais jeune et "très logique", je considérais l'offrande à l'autel des ancêtres comme une pratique plutôt rituelle. Je constate à présent que notre santé mentale et spirituelle devient de plus en plus stable, saine et riche avec la présence de cet autel dans notre domicile. Ayant le temps de regarder profondément sur la mort et la vie, j'appréhende moins la mort. Je ne m'esquive plus à l'idée de la mort, car je sais bien qu'elle me ramène à une vie plus salutaire. Chân Sinh est un de mes frères dans la pratique de méditation; ayant survécu à un combat difficile contre une leucémie, il avait fait ce court poème qui reste vivant dans mon cœur: Me traînant jusqu'ici pour quitter le seuil de la mort, J'ouvre mes yeux, et je retrouve de nouveau ce monde de tumultes. La vie, elle chante toujours miraculeusement. Et même la mort, elle se vêt de poésie. Chân Sinh est décédé il y a deux ans, après dix ans de vie exemplaire suite au rétablissement de sa maladie. En croisant la vie et la mort de Chân Sinh, ma vie a été transformée pour le mieux; et je suis certain que ma mort le sera aussi. Chân Cơ est le nom religieux de Tan Trinh, un ingénieur d'origine vietnamienne. Il est l'un de membres fondateurs de la Société Bouddhique Les Érables. |
Coin de Partage
|